Deux fois par mois, un ou une auteur.trice propose une réflexion autour d'une expression, plus ou moins courante, de la langue française. Aujourd'hui, Isabelle Siac se demande ce que l'on signifie quand on dit "foutu pour foutu".
La première fois que j’ai entendu vraiment cette expression – je veux dire que je la connaissais, bien sûr, mais que je n’y avais jamais particulièrement prêté attention – la première fois donc, c’est lorsqu’une patiente souffrant de boulimie l’employa pour m’expliquer le mécanisme qui l’amenait, à partir d’une frite, d’une bouchée de pain ou d’une cacahouète, à engloutir en quelques minutes l’équivalent de trois jours de repas.
Elle contrôlait strictement son alimentation, et le plus petit écart ruinait à lui seul son programme ; alors, foutu pour foutu, elle allait se faire plaisir dans des proportions aussi grandes que celles dans lesquelles elle se faisait, le reste du temps, violence pour maigrir/rester maigre/être la plus maigre. Foutu pour foutu, m’avait-elle expliqué avec une honte bloquant ses larmes, elle allait se vautrer dans le laisser-aller, se prouver combien elle était minable. Je pensais : s’acharner contre elle-même, en se faisant encore plus mal en se gavant qu’en se retreignant. Elle continuait : Foutu pour foutu, puisqu’elle n’avait pas été foutue de résister à une frite, elle allait se goinfrer à en crever.
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